Le réalisateur Arnaud Desplechin signe pour la Comédie Française sa deuxième mise en scène, après Père de Strindberg en 2015. Ainsi entre au répertoire du Française l’auteur étatsunien Tony Kushner, traducteur de Brecht et de L’illusion comique, qui s’est parfois présenté comme gay, marxiste et juif.
Ce qui fait de Kushner un visionnaire, c’est à travers la singularité
juive et la singularité homosexuelle, c’est qu’on est un par un et
pourtant on fabrique un tout, un pays ou une salle de spectacle. Il
propose un universel basé sur une collection de singularité. Et je
trouve cette universalité extrêmement contemporaine.
(Arnaud Desplechin)
Sa pièce Angels in America est une œuvre
majeure sur le sida, le déclin d’une civilisation en proie l’angoisse
eschatologique, et les années Reagan. Elle entrelace deux histoires
d’amour d’une extrême intensité : d'une part, le couple de Harriet,
mormone addicte au Valium, et de son époux Joe, mormon gay ; d’autre
part, le héros Prior Walter, séropositif en dialogue
avec les anges, et son compagnon Louis Ironson qui le quitte lors de
l’annonce de la maladie, et incarne un double de l’auteur autant que ce
dernier le rejette.
Kushner disait « cette pièce invite au merveilleux théâtral ». Et on
s’est servi de tous les artifices possibles du théâtre. Ce désir de
Broadway chez Kushner m’emballe !
(Arnaud Desplechin)
Roy Cohn est un autre des pôles de cette œuvre qui
représente tout : progression de la maladie, arrivée des anges par le
plafond, retour des morts et scène de rupture en split-screen. Roy Cohn
est un avocat notoire du maccarthysme, homophobe virulent mort du sida,
et conseiller du jeune Donald Trump.
Tout dans la pièce vient vibrer, je parlais de Roy Con, cet avocat
véreux… le désir de monter la pièce est née le jour où Donald Trump a
été élu. Roy Con a été l’un des tout premiers avocats de Donald Trump.
Je trouvais qu’il y avait une sorte de bégaiement que je ne comprenais
pas. Et quand on ne comprend pas quelque chose, il faut en faire du
théâtre.
(Arnaud Desplechin)
Chacun des huit acteurs incarne l’Amérique à sa façon. Roy Con joué
par Michel Vuillermoz incarne tous les péchés de l’Amérique, mais aussi
toute la puissance du théâtre.
(Arnaud Desplechin)
Là où la pièce originelle dure sept heures en deux parties (Millenium Approaches et Perestroïka), le réalisateur de Roubaix, une lumière a puisé chez Christophe Honoré (Les Idoles) et Robin Campillo (120 battements par minute)
pour une version condensée dans laquelle il dit rechercher l’universel,
sortir du cadre étatsunien pour montrer la singularité de cet amour
homosexuel. Alors que sept acteurs sont seuls pour incarner plus de
vingt rôles, la pièce tisse culture populaire (humour des réflexions à
la Friends) et références savantes (Shakespeare, Albee, O’Neill,…) au service de ce qu’A. Desplechin nomme une « poétique de l’impureté », et qui semble avoir guidé son travail.
Tony Kushner embrassant cette maladie terrible signe une pièce pour
la vie. Cette une ode à la vie qui parle d’une maladie mortelle. J’aime
l’impureté de cette pièce qui mélange le sublime et le trivial, la
culture noble et la culture populaire, le rire et les larmes.
(Arnaud Desplechin)
La réduction de la pièce s’est faite dans la fièvre. Je connaissais
bien le texte, je l’avais découvert dans la très belle mise en scène de
Brigitte Jaques Wajeman. J’ai tenu à être très fidèle à la structure de
la pièce, et plus je condensais la pièce et plus les rapports amoureux
s’enflammaient.
(Arnaud Desplechin)
L'Avant-Scène Théâtre consacre son numéro de janvier 2020 à la mise en scène d'Angels in America par Arnaud Desplechin.
Extraits sonores :