L'Invité(e) des Matins
Mercredi 19 octobre 2022
Faits-divers marquants, nouvelles délinquances, réseaux sociaux... : derrière le filtre de l’émotion
Une femme vérifie son téléphone à côté d'une bannière affichant le logo Twitter, à Istanbul, en Turquie, le 14 octobre 2022 ©Maxppp - SEDAT SUNA
Avec Patrick Avrane, psychanalyste, auteur de Les Faits divers, une psychanalyse (PUF, 2018), et Renée Zauberman, sociologue directrice de recherche au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), ainsi que Florence Pagneux, correspondante de La Croix à Nantes
Pour Patrick Avrane, « le fait divers est né à la fin du XIXème siècle à partir du moment où la grande majorité de la population commençait à savoir lire et où les journaux ont pu faire de grands tirages ».
Avec l’affaire du meurtre de Lola, poursuit-il, on a « un fait divers, on pourrait dire, qui rassemble tout : c’est un enfant (qui est mort), c’est une histoire qui touche des gens (les victimes de ce drame, NDLR) qui pourraient être nos proches (…), c’est une histoire qui est tout à fait étrange, on ne sait pas très bien ce qu’il s’est passé. C’est cet ensemble-là qui fait que c’est un fait-divers au sens maximum du terme : (…) il a une certaine proximité avec nous-mêmes. »
Un fait divers est-il politique ?
D’après Renée Zauberman, « il y a un aspect tout à fait politique à ces affaires isolées parce qu’elles font l’objet d’une montée en généralités, qui se retrouve dans des enquêtes (faites au sein de la) population générale ».
Pour la sociologue et directrice de recherche au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), « les enquêtes montrent très bien que les fragments de population qui font passer la question de la délinquance, et de l’immigration couplée à cette question de la délinquance, au premier rang de leurs préoccupations, au premier rang de ce que ces personnes exigeraient de l’Etat en termes d’action publique, sont très massivement portées sur les votes (…) de droite et, de plus en plus vers l’extrême droite. »
D’après Patrick Avrane, « il y a le fait divers et il y a son traitement. Dans le traitement, il peut y avoir une utilisation » au sens de récupération notamment par et dans le monde politique. Toutefois, « parfois, le fait divers prend une ampleur extrêmement importante, et ça devient l’objet de discussions. On pourrait dire que le fait divers est aussi ce qui rassemble parce que c’est au-delà du clivage politique ». Il ajoute que « c’est ce qui relie les personnes, ce qui fait que nous sommes dans une même société, que nous parlons la même langue » et conclut : « le fait divers, c’est l’irrationnel qui est dans notre vie (…), c’est ce à quoi on ne s’attend jamais » explique-t-il.
Assiste-t-on aujourd’hui à une augmentation de l’insécurité en France ?
Pour Renée Zauberman, la réponse à cette question est, « dans l’ensemble, plutôt non ; en prenant les violences les plus sérieuses, les homicides, on a deux sortes de données : les enregistrements policiers etles statistiques de l’INSERM sur les causes de mortalité. (…) Les données de l’INSERM sont très en retard par rapport aux enregistrements policiers. Le dernier chiffre publié par l’INSERM sur l’occurrence des décès date de 2017 et il est très en dessous des enregistrements policiers sans que l’on sache véritablement comment expliquer cela. »
Toutefois, elle ajoute que « ce qui a énormément augmenté dans la douzaine d’années écoulée, ce sont les tentatives d’homicide » car la définition retenue par la police pour ces faits de tentative d’homicide a changé et inclut désormais les « violences extrêmement graves » commises sur une personne physique.
Nantes, largement mise en avant dans ce contexte, est-elle plus touchée par l’insécurité qu’avant ?
D’après les chiffres récupérés auprès de la préfecture de Nantes par la journaliste Florence Pagneux, « les faits de délinquance générale ont baissé de 9% donc on voit bien qu’au niveau général il y a une baisse, contrairement à l’image que l’on pourrait avoir de la ville. En revanche les atteintes aux personnes, elles, ont augmenté de 6%. Voilà les chiffres pour la ville de Nantes entre 2019 et 2022. »
Depuis un fait divers qui s’est déroulé dans le quartier de l’île de Nantes, un espace festif, et la publication d’articles sur l’insécurité qui régnerait dans cette ville, « on a vraiment l’impression d’assister à une série noire, ces derniers temps, qui concerne pour beaucoup des quartiers populaires, finalement, où depuis cinq ans, je dirais, on a une montée en puissance du trafic de stupéfiants et une montée en puissance des fusillades. » Le procureur de la République de Nantes a d’ailleurs pu partager avec Florence Pagneux le fait que « depuis janvier 2022, il y avait eu 35 fusillades à Nantes dans ces quartiers, liées à des histoires de guerres de territoire, etc. » explique-t-elle.