Pour en parler, Guillaume Erner reçoit Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, et Bruno Palier, directeur de recherche au CNRS et coordinateur de l’ouvrage Que sait-on du travail ? (Presse de Sciences-Po 2023).
Une « responsabilité » vis-à-vis des Français
Alors que la course pour les européennes a officiellement démarré avec les meetings de Raphaël Glucksmann et de Valérie Hayer ce weekend, le Rassemblement national continue de creuser l’écart avec ses adversaires. Le dernier sondage Ipsos crédite la liste du parti conduite par Jordan Bardella de 31% des intentions de vote, loin devant les 18% de Renaissance. Pour Jean-Philippe Tanguy, président délégué du groupe Rassemblement National à l'Assemblée nationale et membre de la Commission des finances, ce résultat est « une responsabilité pour continuer cette campagne sur les thèmes qui intéressent vraiment les Français, qui correspondent à leurs difficultés réelles et à leurs aspirations. Ce score valide la stratégie de Jordan Bardella et de Marine Le Pen d’axer la campagne sur la sécurité, le pouvoir d'achat et l’état des services publics et de ne pas tomber dans la diversion et l’outrage comme l'a choisi le Président de la République. »
La réduction des inégalités
Cette position de leader place le parti et son programme sous les projecteurs, alors qu’il cherche à se montrer crédible notamment sur les questions économiques. Pour le Rassemblement national qui aspire aujourd’hui à être le parti des travailleurs, il s’agit d’abord de clarifier ses divergences économiques avec la gauche qui a historiquement recueilli le vote ouvrier et populaire. Pour Jean-Philippe Tanguy, leur « principale différence avec le programme de la NUPES reste notre volonté de réduire les inégalités par le travail, notamment celles d'accès à l’emploi et de rémunération. Nous reconnaissons les talents de tous, quand bien même ils ont de faibles qualifications, ce qui n’équivaut pas à un manque de talent ou de capacité à créer de la richesse. Tandis que la gauche a une vision bien plus redistributive qui veut corriger les inégalités du marché par un rôle trop important de l'État. Un projet d’ailleurs inefficace dans une économie ouverte qui ne fait qu’aggraver la dette sans vraiment réduire les inégalités. »
Responsable du programme économique du parti, Jean-Philippe Tanguy propose pourtant une « augmentation globale de 10% des salaires par un accord d'entreprise qui toucherait tous les salariés qu'ils soient au SMIC ou jusqu'à trois SMIC, c'est-à-dire parmi les classes moyennes supérieures. » Pour combattre le « problème de consentement à l’impôt » qui anime selon lui une partie des classes moyennes et populaires, ces hausses seraient exonérées fiscalement pendant cinq ans avant de revenir dans le régime d’imposition normal.
Un programme flou ?
L’une des priorités du RN reste de renforcer la solidarité économique et fiscale entre les Français, tout en attaquant les plus riches, « ceux qui se sont goinfrés sur la mondialisation. » Pour Bruno Palier, directeur de recherche au CNRS, le discours tenu par le RN est contradictoire. « Je voudrais souligner la rhétorique ici utilisée qui essaye de dénoncer la situation de certaines personnes en attaquant des élites, si ce n’est pas les assistés ou les migrants. Je suis d’ailleurs étonné que vous mettiez en avant cette notion de solidarité avec les classes populaires dans la mesure où le mot solidarité est absent du programme de Marine Le Pen, que j'ai relu avant de venir ce matin. La notion de pauvreté ou des mesures en faveur des chômeurs n’y figurent pas non plus. »
Pour le chercheur, le programme économique du parti d’extrême-droite est opposé aux intérêts de la masse salariale. « Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui les classes moyennes dont vous parlez sont en voie de précarisation. Leurs contrats de travail sont de plus en plus courts et s'arrêtent avec une menace de chômage. Le programme économique du Rassemblement National est un espèce de mélange avec des traces restantes de libéralisme. Il affirme, je cite, "qu’il faut préserver la saine concurrence entre nos entreprises nationales et le protectionnisme à nos frontières." Monsieur Tanguy a déclaré vouloir baisser les cotisations et les impôts pour les entreprises et maintenir la suppression de l’ISF par exemple. Une partie de l’électorat du RN est composée de patrons de petites et moyennes entreprises ainsi que de commerçant, expliquant cette influence libérale. De fait, le RN ne peut pas s’appeler en même temps le parti des travailleurs qui agirait pour le progrès social. Je suis marqué par l’absence de propositions concrètes qui permettraient l'amélioration des rémunérations directes et des conditions de travail. »