Pour en discuter, Quentin Lafay reçoit l'essayiste et historien Jean-François Colosimo, auteur de Occident, ennemi mondial n° 1 (Albin Michel, 2024).
Les "néo-empires"
Pour l’essayiste, le nouveau clivage mondial qui s’impose à l’Occident est aujourd’hui porté par des « néo-empires ». Ces vestiges d’anciennes puissances impériales ont changé de formes et de noms mais perpétuent d’anciennes ambitions. « Derrière la Russie de Poutine il y a l’imaginaire belliciste et conquérant de l’empire tsariste. Derrière Xi Jinping et la République populaire de Chine, il y a l'Empire des Han. Derrière, l'Iran, il y a l'Empire perse, et derrière Erdogan se cache la mémoire de l'Empire ottoman. Tous ces régimes ressuscitent le passé de leurs puissances respectives. »
La montée en puissance de l’Europe et son influence mondiale à partir du XVIe siècle ont progressivement mis en péril les hégémonies de ces anciens empires, souligne le chercheur. Un dilemme s’est alors imposé à eux : comment se « moderniser » en adoptant les techniques militaires et administratives de l’Europe pour ne pas devenir son vassal tout en gardant une identité politique propre ? Pour Jean-François Colosimo la chute de ces empires repose notamment sur l’utilisation de ces modernisations pour « l’autocratie, c’est-à-dire une forme de divinisation du pouvoir politique. »
À écouter : La naissance de la Turquie sur les ruines de l'Empire ottoman
L’outil religieux
Ces « néo-empires » seraient ainsi dans la recherche d’un passé fantasmé, affirme l’essayiste. Pour y parvenir, la religion devient un outil particulièrement utile qui permettrait de redonner un souffle à leur imaginaire politique et de mobiliser massivement leurs populations. « La religion leur est particulièrement utile parce qu’elle est un grand vecteur d’identité. Elle permet une vaste inclusion entre les membres qui la partagent tout en excluant les peuples que l’on désigne hérétiques. Elle a une capacité de mobilisation extraordinaire et reste un instrument facile pour recréer les empires parce qu’elle donne un sens à la mort et au sacrifice. Il n'y a pas de meilleur carburant à la divination du politique. »
À écouter : Empire et Église en Russie du 16e siècle à aujourd'hui
Définir l’Occident
Les « néo-empires » qui participeraient à la formation d'un Sud global s’opposent aujourd’hui à l’Occident. Mais que désigne vraiment cette notion aussi vague que commune ? D’après Jean-François Colosimo, « pas grand-chose historiquement ni culturellement. Chacun y met un peu ce qu'il veut. Il y a dix mille façons de concevoir l'Occident. […] Dans cette diversité d’interprétations, les nouveaux potentats, les néo-empereurs, le désignent habituellement comme cette espèce d'hydre corrompue, corruptrice, hypocrite, menteuse, qui assoie son hégémonie mondiale sur le mensonge de l'universalisme des droits de l'homme et du droit international. »
À écouter : Pour un universalisme méthodologique. Analyse des discours de contestation du modèle occidental