Avec 46,8% d’abstention, l’élection européenne a donné hier pour gagnant la liste du Rassemblement national menée par Jordan Bardella. Avec 31,5% des voix, le parti d’extrême droite mène large face au parti présidentiel qui rassemble 14,7% des suffrages. Comment comprendre cette « vague brune » qui s'est exprimée hier en France ?
Notre invité Nicolas Roussellier est professeur d’histoire politique à Sciences Po et auteur de La force de gouverner. Le pouvoir exécutif en France, XIXe-XXIe siècles, paru chez Gallimard.
La dissolution, un outil instauré par De Gaulle
Avant la Ve République mise en place par De Gaulle, la dissolution était considérée comme “un péché capital du point de vue de la tradition républicaine, c'est-à-dire centrée sur le Parlement”, explique Nicolas Roussellier. Puis, “de Gaulle place la dissolution comme une arme essentielle, qu'on appelle en droit un pouvoir propre. C’est un pouvoir complet, puisqu’il peut l’utiliser sans le feu vert d’un autre organe”. De Gaulle instaure cette nouvelle arme en 1958 car il pressent que le Parlement sera toujours ingouvernable en France. "La Vème République est, depuis le départ, une sorte de renoncement à faire de la politique par la Nation assemblée. La dissolution est un moyen de résoudre une crise quand l'exécutif veut reprendre la main au détriment du Parlement”.
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Un coup de poker de la part de Macron
Cependant, la dissolution du Parlement annoncée hier par Macron a un caractère totalement nouveau, puisqu’elle a lieu à la suite des élections européennes. Nicolas Roussellier souligne alors que "la dissolution peut être pensée comme une prise en compte du résultat des européennes par Emmanuel Macron, mais aussi évidemment de ce qui s'est passé depuis deux ans, c’est-à-dire l'échec à faire un parlementarisme nouveau de coalition et de vote". La conception de la dissolution n’est pas la même dans tous les pays. Dans la tradition politique de la Grande Bretagne, elle est tout à fait traditionnelle et ne porte pas cette connotation de coup de force. Cette révélation faite hier par Macron est quant à elle considérée comme un coup de poker.
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Une prise de risque
Nicolas Roussellier se questionne particulièrement sur le court calendrier annoncé par le Président. En effet, les élections auront lieu dans trois semaines, ce qui raccourcit la campagne. "Si la campagne européenne se prolonge, pourquoi les résultats seraient si différents de ceux d'hier soir ?” s’inquiète l’historien. Il souligne toutefois une grande différence entre ces deux élections : “dans les européennes, il n'y a pas du tout l'idée de gouverner la France. L'élection législative va désigner le gouvernement. La prise de risque est que l'Assemblée penche nettement vers l'extrême droite, ce qui nous ramènera au fonctionnement parlementaire. La nouveauté est qu'il va falloir refaire, presque réinventer, un parlementarisme adapté à la situation complètement chaotique. C'est ce qui est à la fois le plus audacieux de la part d'Emmanuel Macron, mais aussi le plus dangereux. Il laisse au Parlement le gage de retrouver une forme de cohérence.”
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