L'usage excessif du mot "République" et de son adjectif laisse penser à une instrumentalisation. Mais de quoi parle-t-on quand on parle de la République ? Jean-Fabien, Spitz, professeur de philosophie politique à l'université Paris 1, auteur du livre "La République ? Quelles valeurs ?" clarifie la notion. Après avoir pris le soin de la distinguer de la démocratie, il explique :
"Historiquement, une république est un régime qui est appuyé sur trois piliers. Le premier, c'est le consentement du pouvoir. Il n'y a pas de pouvoir sinon qu'élu, et reposant sur le consentement des citoyens. La deuxième chose, c'est ce que Rousseau appelle un régime régi par des lois ce qui exclut le gouvernement par la volonté arbitraire d'un seul et de plusieurs. Le troisième pilier, c'est l'existence d'une série de droits attachés aux individus que le pouvoir, même lorsqu'il s'exerce par des lois, même lorsqu'il fait des lois, est tenu de respecter." Il conclut : "Et donc la République, c'est un pouvoir assujetti à des lois et limité par des droits."
Les valeurs républicaines, un catéchisme moral ?
L'expression, bien qu'utilisée dans son ouvrage, mérite une attention particulière selon Jean Fabien Spitz. Il insiste avant tout sur la distinction entre la notion de valeur et la notion de principe : "Des valeurs, ce sont des idées morales auxquelles on vous demande d'adhérer. Ça suppose une adhésion volontaire, interne, en conscience. C'est quelque chose qui a une dimension subjective. Un principe, c'est une règle qui gouverne les rapports entre les individus. Peu importe ce que vous pensez, on vous demande d'appliquer un principe. La République est fondée sur des principes avant d'être fondée sur des valeurs." Par conséquent rien ne garanti l'effectivité des prétendues valeurs républicaines. Il poursuit :
"Les hommes sont libres et égaux, naissent libres et égaux en droit. La question n'est pas tellement de savoir si les écoliers sont capables de le répéter par cœur, mais la question est de savoir s'ils sont capables de vivre en conformité avec des principes de ce genre."
Une République sans valeurs, une République sans substance
Quelle est la direction d'un ensemble de principes dépourvu de valeurs morales ? Pourquoi parle-t-on historiquement de république sociale ? La république sans qualificatif était indéterminée ? Pour répondre à la question, Jean Fabien Spitz replonge dans l'Histoire :
"Au moment où la révolution française et la révolution américaine ont eu lieu, il s'agissait de combattre ce que l'on appelait tout à l'heure le pouvoir arbitraire, c'est-à-dire de combattre des formes de domination et d'inégalité de pouvoir à l'intérieur des sociétés ancienne. Et donc, lorsqu'on a proclamé le principe de l'égalité morale de l'ensemble des citoyens, on a réfléchi aux moyens, et on s'est dit, le moyen de guérir la domination, c'est d'instaurer l'égalité des droits, c'est de proclamer le fait que les droits sont les mêmes pour tout le monde (...) Puis ensuite, au XIXe siècle, on s'est aperçu que l'égalité des droits ne suffisait pas à assurer une égalité réelle des indépendances en particulier à cause de la concentration de la propriété, de la concentration de la propriété des moyens de production." Pour illustrer, Jean Fabien Spitz fait référence à l'abolition de l'esclavage:
"On s'est très rapidement aperçu que le fait de disposer de droits absolument égaux ne faisait pas d'eux des hommes libres. Pourquoi ? Parce que démunis de toute espèce d'assises matérielles de leur indépendance, ils sont contraints de se vendre à leurs anciens propriétaires, tout simplement."