La revue de presse
Mardi 22 août 2023
A chacun sa guerre
Marïnka dans l'est de l'Ukraine, ville oubliée. Migrants éthiopiens massacrés à l'arrivée en Arabie Saoudite et des combats de femmes. Petit inventaire de la Revue de presse.
Marïnka n'existe plus
Il y a encore peu, cette ville de l'Est de l'Ukraine comptait 12.000 habitants. C'était le genre de bourgade écrit Florence Aubenas du MONDE, où personne ne songeait à verrouiller sa porte. La ville a connu les bombes pendant la guerre du Donbass en 2014. Mais la situation avait fini par se stabiliser en 2016. "Les marchés, les transports, les services publics, tout s'était remis à fonctionner", explique t'on à la journaliste du MONDE. Alors les habitants sont restés, ont reconstruit même leurs maisons bombardées.
Aujourd'hui, plus rien. En 18 mois de guerre, plus un bâtiment n'est debout. Mais on continue de s'y battre. Le colonel sur place, assure que ce n'est pas à Marïnka que se jouera la guerre. "Mais on ne peut pas se permettre de reculer." Les Russes sont pourtant 4 fois plus nombreux, mieux armés. Leur tactique est simple. "Ce qu'ils n'arrivent pas à prendre par la force, ils le détruisent", décrypte un ancien des services de sécurité ukrainien.
Florence Aubenas raconte la ville. Des chiens qui errent en serrant parfois dans leur gueule, des restes humains. Les hommes qui combattent accroupis derrière des briques empilées, un frigo brûlé. Une guerre d'usure. Un sous-commandant reste hanté par l'appel d'un blessé. Il n'y avait pas de médecin à proximité, personne pour l'épauler. Quand il l'a compris. Il a tiré, jusqu'à la mort.
Février 2022, avril 2022, août 2022, décembre, jusqu'à aujourd'hui, Florence Aubenas retrace 18 mois de guerre. Une seule fois, le temps s'est arrêté à Marïnka. Lors d'un échange de tirs, une vieille femme a surgi des ruines. Qui était-elle ?
D'où sortait-elle ? Où allait-elle ? Tranquillement, semblant ne s'apercevoir de rien, la vieille femme a traversé le champ de bataille. Russes et Ukrainiens sont restés figés, comme devant une apparition. Elle avait déjà disparu.
Des migrants éthiopiens massacrés
Le rapport de Human Rights Watch publié hier, décrit un massacre, avec des viols, des exécutions sommaires, des corps démembrés. Des hommes, des femmes et des enfants dont les corps jonchent les ravins. La frontière entre le Yémen et l'Arabie Saoudite s'est transformée en un cimetière à ciel ouvert. Les migrants passent par l'ancienne route des esclaves.
La même que Joseph Kessel et le trafiquant Henry De Monfreid avaient décrite dans les années 20.
Le réseau de passeurs a commencé à se structurer en 2007. Chaque tronçon du trajet est contrôlé par un intermédiaire. Celui que l'on appelle "dalal" est en quelque sorte, provisoirement, propriétaire du migrant. Jusqu'à réception par le passeur suivant. La fin du parcours se fait sur une route montagneuse, à 2.200 mètres d'altitude. Les derniers mètres sont les plus périlleux. Car à l'arrivée, les Saoudiens tirent à balles réelles.
Une chercheuse de Human Rights Watch confirme à LIBERATION que cette "voie ne fait pas l'objet d'une grande attention médiatique." Les Saoudiens peuvent d'autant plus balayer les accusations, que la zone n'est pas accessible aux journalistes. Les abus sont généralisés selon Human Rights Watch. S'ils s'inscrivent dans le cadre d'une politique d'Etat, cela constituerait un crime contre l'humanité.
Mais le pouvoir saoudien qui dément, n'est ni inquiet, ni inquiété écrit LIBERATION. La preuve. Joe Biden, Ursula von der Leyen, Emmanuel Macron, personne n'a écrit de tweet indigné. Le problème est que l'Arabie Saoudite de Mohamed Ben Salmane est bien trop importante pour être ignorée. Contrairement à l'Ukraine dont on parlait tout à l'heure, on meurt ici, à l'abri des regards du monde.
Le combat des chanteuses de Samba
Direction le Brésil. Le site du MONDE raconte ce matin, ces femmes qui repartent à la conquête de ce genre musical longtemps réservé aux hommes. Ce soir là, à Rio de Janeiro, il y a du monde à l'entrée du Beco do Rato. Sur les murs du bar, les propriétaires ont mis les visages de Noel Rosa, Aldir Blanc... Que des hommes. Pourtant sur scène, ce sont bien des filles qui s'époumonent et qui entonnent les tubes. Elles sont là pour revendiquer un acte de résistance contre la misogynie. "Marre", disent-elles, "d'être réduites à des objets sexualisés. On veut montrer qu'on est des musiciennes professionnelles. L'égal des hommes."
La démarche n'est pas évidente. Car au Brésil, la samba fut longtemps réservée aux hommes. Pourtant qu'on se le dise. Les tantes bahianaises, ces matriarches et organisatrices de grandes fêtes, ont inventé la samba. Née à la fin XIXème siècle, la musique sera d'abord mal vue puis passe aux mains des hommes. Avec un Noel Rosa qui n'hésite pas à chanter que lorsque la femme est indigeste, elle mérite un brique dans la tête. Très chic.
Premier retour de manivelle dans les années 60. Mais c'est surtout dans les années 2000, que les femmes vont reprendre le pouvoir avec des groupes de samba 100% féminin. Aujourd'hui au Beco do Rato, on chante : "Liberté. Je suis une femme. Je suis maîtresse de mon corps. Je suis tout ce dont un jour j'ai rêvé." Par leurs paroles, les membre de Samba Que Elas Querem chantent et célèbrent la femme.
Des rues au nom d'hommes
ALTERNATIVES ECONOMIQUES a étudié avec la plate-forme européenne de datajournalisme, EDJNET, 146.327 rues des 30 plus grandes villes d'Europe dans 17 pays de l'Union européenne. On découvre que 91% de ces rues portent un nom d'homme. C'est à Stockholm en Suède que l'on relève l'écart le plus faible. Seulement 80% de rues avec des noms d'hommes. Paris est à 91.4%. En bas de tableau, on retrouve Prague, 95% de nom d'hommes, et Debrecen en Hongrie, 97%. Selon ALTER ECO, les 146.000 villes rendent hommage à près de 41.000 personnes mais seulement 3.500 femmes ont trouvé leur place. La Vierge Marie et Sainte Anne sont les figures féminines les plus populaires.
Ce fossé entre hommes et femmes n’est pas si surprenant si l’on pense à la marginalisation systématique des femmes opérée dans l’éducation, la vie publique et l’économie au fil des siècles. La toponymie urbaine reflète finalement les rapports de force. Et qu'on se le dise aussi. Même si on décidait de dédier les futures rues à des femmes, cela ne suffirait pas à rattraper le retard. D'après ALTER ECO, il faudrait des siècles. Pas gagné.