Le Reportage de la Rédaction
Mercredi 29 novembre 2023
Climat : quand les scientifiques mouillent la chemise !
Le paléoclimatologue Jean Jouzel (à droite) et le climatologue Serge Planton (à gauche) invitent les voyageurs à discuter du climat dans un train Paris-Brest. ©Radio France - Cécile de Kervasdoué
Faut-il boycotter la COP28 de Dubaï parce qu'elle est dirigée par un grand patron du pétrole ? La question divise encore la communauté scientifique française. Le paléoclimatologue Jean Jouzel a choisi de ne pas quitter la table des négociations, d'autres préfèrent organiser des COP alternatives.
Quelle est la valeur de la 28ᵉ conférence des Nations unies pour le climat quand elle a lieu à Dubaï et qu'elle est présidée par le Sultan Al Jaber qui dirige la compagnie pétrolière des Émirats Arabes Unis ? Aucune ! Répondent les scientifiques en rébellion, un collectif de scientifiques de toutes disciplines, qui depuis février 2020 appellent à la désobéissance civile pour faire avancer la cause climatique. Ce collectif organise à Bordeaux du 30 novembre au 4 décembre 2023 une COP Alternative pour tenter de mobiliser la société civile contre "l'inaction face au dérèglement climatique et à l'effondrement de la biodiversité".
"Cela fait cinquante ans qu'on informe les citoyens et les décideurs sur le dérèglement climatique et il ne se passe rien, ou si peu que ça ne correspond à rien, alors aujourd'hui, il faut agir autrement ; et la désobéissance civile est une manière d'avoir une action politique" Jérôme Santolini, directeur de recherche au CEA
Mais d'autres chercheurs s'engagent sans pour autant choisir la désobéissance civile et préfèrent continuer à informer et à sensibiliser la population française. D'après une récente étude de l'Ademe, un Français sur cinq continue de nier le lien entre réchauffement climatique et activités humaines. Ces scientifiques engagés ont donc eu l'idée de relancer la Tournée du Climat et de la Biodiversité. Une initiative lancée en 2015 au moment de la COP de Paris afin de mobiliser tous les territoires.
Durant le mois de novembre, des grands noms de la paléoclimatologie, de la météorologie, de l'agroclimatologie, de la zoologie, ou de l'océanographie ont participé à des conférences grand public, des ateliers avec des scolaires, des rencontres avec des élus ou des chefs d'entreprises locales à la fois en région parisienne, mais aussi à Nantes ou à Brest. L'objectif : faire de la lutte contre le dérèglement climatique l'affaire de tous.
Et pour cela, il s'agit de renseigner le public sur les causes ce qu'explique le paléoclimatologue Jean Jouzel les énergies fossiles sont responsables de 80% des gaz à effet de serre et notre alimentation, de près de 20% de nos émissions de gaz à effet de serre. "C'est donc tout un système qu'il faut renverser et il y a urgence !" explique le chercheur ; car loin du vœu pieux de limiter le réchauffement 1,5% d'ici à la fin du siècle prévu par les accords de Paris, le monde s'oriente vers un réchauffement à 3% d'ici à la fin de ce siècle et même 4° en France. (Si vous voulez savoir ce que cela veut dire concrètement, C'EST ICI.)
Jean Jouzel a pourtant choisi d'aller sensibiliser les parties présentes à la COP28. Comme il a répondu à l'invitation de l'université d'été du Medef d'août dernier où le PDG de Total et la ministre de l'Industrie ont ouvertement nié le consensus scientifique international qu'il présentait.
De quoi rendre le public parfois inquiet, parfois aussi en colère. Certains, lors des rencontres de la Tournée du Climat, ont cité l'économiste Frédéric Lordon : "Nous ne serons pas éco anxieux, nous serons éco furieux !" et ce, malgré l'accent mis, lors de cette tournée du Climat et de la biodiversité, sur les solutions.
Cette tension pousse aussi de nombreux chercheurs à ne pas s'engager ou plus souvent encore à demander la protection de leur institution.
"Chaque jour, des chercheurs sont agressés, menacés, taxés de militants, parce que les conclusions de leurs recherches scientifiques (validées par leurs pairs ndlr) ne plait pas à leurs opposants" explique Christine Noiville, la présidente du Comité d'Ethique du CNRS, l'institution qui compte 32 000 chercheurs en France.
La situation est si tendue que ce comité a consacré cette année ses deux avis sur l'engagement environnemental des chercheuses et chercheurs, avec l'idée que les scientifiques sont essentiels au débat public, qu'ils doivent pouvoir s'engager, quitte à choisir la désobéissance civile, mais tout en "étant impeccable" sur leurs devoirs à savoir, d'où ils parlent, quels sont leurs liens d'intérêts, quelles sont leurs données, ont-ils une position majoritaire ou particulière ?
Le CNRS prépare une Charte des droits et devoirs du chercheur, mais demande également au législateur de prévoir une loi pour mieux protéger les lanceurs d'alerte que sont devenus les scientifiques.