Le Reportage de la Rédaction
Lundi 11 décembre 2023
À la Réunion, 41 % de la flore est menacée, alerte l'Union internationale pour la conservation de la nature
Marie Lacoste, écologue au conservatoire botanique national de Mascarin et Hervé Fossy, chef de culture. ©Radio France - Lola Fourmy
Le dernier bilan mené sur l’île de l’océan Indien révèle "une situation très préoccupante" pour la flore endémique. Dressé dans le cadre de la "Liste rouge des espèces menacées en France", il fait même état d’une aggravation du phénomène depuis dix ans.
"Cote d’alerte pour la flore de la Réunion". Le titre du communiqué qui accompagne les résultats du dernier bilan d’actualisation est sans équivoque. Menée pour la dernière fois en 2010, l’actualisation de la flore vasculaire (c’est-à-dire à l’exclusion des mousses) faisait état de 30% d’espèces menacées. Treize ans plus tard, nous avons donc atteint 41% de la flore. Cette étude, portée conjointement par le Conservatoire botanique national de Mascarin, l’Office Français de la Biodiversité, le Muséum d’histoire naturelle, le comité français de l’UICN (l'Union internationale pour la conservation de la nature), et de nombreux experts bénévoles, a permis de passer au crible 962 espèces indigènes. Au total, 395 sont menacées et 41 ont déjà disparu, à l’image du bois café (turraea oppositifolia), disparu de la Réunion, ou du Patte de Lézard (lomariopsis variabilis), une variété de fougère désormais disparue au niveau mondial.
"Quand on perd une espèce, on la perd de manière définitive"
Au niveau local, c’est le Conservatoire botanique national de Mascarin qui a coordonné l’étude. Marie Lacoste y est écologue et elle s’alarme des résultats : "On me demandait l’autre jour si on pouvait faire machine arrière, mais non, quand on perd une espèce, c'est définitif. Et beaucoup d’espèces de la Réunion ont disparu depuis l’arrivée de l’homme, il y a seulement 360 ans", rappelle la scientifique. Si ces chiffres ont été rendus possibles, c’est aussi grâce au travail de long terme des naturalistes bénévoles du territoire. Ces experts arpentent les forêts, armés de carnets et d’appareils photo, et recensent toutes les espèces croisées, qu’ils détaillent très précisément. Leurs données mises en commun ont permis une description fine de la flore du territoire. Parmi ces passionnés, Jean-Yves Tamon, ébéniste de la Plaine des Palmistes, s’est formé sur le tard, mais s’est pris de passion pour les fougères et les orchidées. Il a désormais créé dans son jardin une forêt primaire miniature dans le but de conserver des espèces menacées.
Jean-Yves Tamon, naturaliste de la Réunion, a créé dans son jardin de la Plaine des Palmistes une foret primaire miniature. On y retrouve de nombreuses fougères, sa passion © Radio France - Lola Fourmy
Des actions de lutte lancées mais pas assez soutenues
Plusieurs facteurs contribuent à la disparation de la flore endémique comme la destruction des espaces naturels, la perte des milieux humides, mais le principal fléau vient des espèces exotiques envahissantes. Des arbres, lianes ou autres plantes ramenées de l’extérieur de l’île qui asphyxient la flore endémique de la Réunion. C’est le cas de la Liane papillon (Hiptage benghalensis). D’origine indo-malaisienne, elle étouffe les vestiges de la forêt sèche et les derniers pieds du très rare Bois puant. Certaines variétés de palmiers, eux, sont menacés par l’escargot géant africain (achatina fulica), un colosse qui peut atteindre jusqu’à 20 cm de long. La lutte contre les espèces envahissantes est donc une priorité.
Une partie de la forêt de Ptite Plaine, entretenue par Plantali © Radio France - Lola Fourmy
L’association Plantali, créée en 2019, à la Plaine des Palmistes, est spécialisée dans ce combat. Les trois salariés (souvent accompagnés de bénévoles ou de scolaires, voire des futurs militaires du RSMA), arpentent les forêts à la recherche des envahisseurs et les arrachent méthodiquement afin de permettre aux espèces endémiques de se régénérer. Jo Minatchy, ex-salarié de l’ONF, est un passionné de la foret qu’il considère comme "un être, pas juste un tronc avec des branches". Leur travail porte ses fruits : dans la forêt de Ptite plaine par exemple, les espaces où ils ont œuvré sont désormais épargnés d’espèces exotiques.
Le volet conservation est, lui aussi, primordial. C’est le rôle de Mascarin, le conservatoire botanique national. Ici, les salariés travaillent à la collecte, reproduction, culture et réimplantation dans le milieu naturel d’espèces menacées. Malgré ces différentes initiatives, ce n’est pas assez pour stopper cette course contre la montre, souligne le communiqué de l’UICN : "Ces programmes n’apparaissent pas suffisants et beaucoup ne portent pas encore leurs fruits, car ils concernent principalement des plantes ligneuses qui présentent des temps de régénération longs. La préservation de ces espèces nécessite la poursuite des efforts engagés pour observer de réelles améliorations."
Le rôle primordial du service rendu par la nature
Outre l’importance intrinsèque d’une espèce, l’écologue Marie Lacoste rappelle une donnée cruciale : "Les services rendus par la nature sont très importants. Les forêts, quand elles fonctionnent bien, permettent de recharger les nappes phréatiques. La flore, quand elle est fonctionnelle, peut aussi permettre de lutter contre la houle cyclonique. Tous les éléments de nature native ont un rôle à jouer, y compris vis-à-vis de l’homme". Alors pour lutter, il faut commencer par éviter absolument d’importer ou de disséminer des espèces exotiques. Résultat, les visiteurs qui se rendent à la Réunion doivent vérifier leurs chaussures, leurs vêtements ou encore leurs valises pour ne pas amener avec eux de potentiels ennemis de la nature réunionnaise. Idem pour les habitants de l’île, il est recommandé de vérifier l’état de ses semelles avant d’entrer dans les forêts.