Le Reportage de la Rédaction
Mercredi 20 décembre 2023
Au bloc opératoire, les sages femmes pratiquent aussi des IVG
Delphine Giraud, sage-femme au Centre de Planification familiale à la Pitié-Salpêtrière, peut désormais réaliser des IVG instrumentales ©Radio France - Jeanne Cerin
Depuis le 16 décembre 2023, les sages-femmes sont autorisées à réaliser des interruptions volontaires de grossesse avec la méthode instrumentale par aspiration. Reportage à la Pitié-Salpêtrière, où depuis dix ans, le service s'engage pour faire reconnaître ce droit à ces praticiennes de santé.
Derrière la maternité de la Pitié-Salpêtrière, le bâtiment Siredey héberge depuis 2012 le Centre de Planification familiale de la Pitié Salpetrière. Sonia Bartel, infirmière, a connu une époque où les deux services se trouvaient côte à côte. "Nous étions très mal à l'aise pour les patientes", se rappelle-t-elle. "Les femmes venaient pour avorter et devant elles, il y avait des femmes enceintes de 7 mois qui passaient dans le couloir, et en bruit de fond, des bébés qui pleurent".
Il y a dix ans, des personnels de santé de la maternité, dont le professeur et chef de service Marc Dommergues, décident de créer cette extension dédiée à l'orthogénie. "J'ai eu l'honneur d'avoir fait partie des personnes qui ont créées le Planning familial de la Pitié-Salpêtrière, rapporte fièrement l'infirmière, et j'ai aujourd'hui l'honneur de travailler avec l'une des premières sages-femmes à réaliser des IVG instrumentales".
Un centre pionnier dans l'accès à l'IVG
Tout autant de fierté se lit sur le visage de la concernée. Delphine Giraud, sage-femme au centre, est aussi co-présidente de l'ANSFO, l'Association Nationale des Sages-Femmes Orthogénistes. Le droit à réaliser des IVG instrumentaux figure depuis longtemps dans ses priorités. "C'est une question de choix pour la femme. Elle doit pouvoir choisir sa méthode d'IVG en fonction de ses préférences et non de la disponibilité de l'offre", martèle-t-elle.
À écouter : Pourquoi a-t-on écarté les sages-femmes de la médecine à la fin du Moyen Âge ?
En 2016, les sages-femmes sont autorisées à réaliser des IVG médicamenteuses, qui reposent sur la prise de deux médicaments. Mais cette méthode ne peut être pratiquée que jusqu'à sept semaines de grossesses. Il est donc logique selon elle d'augmenter maintenant le nombre de personnels médical qui peuvent réaliser les IVG instrumentales, réalisables jusqu'à 14 semaines de grossesse, depuis la loi du 2 mars 2022.
Depuis plusieurs années, elle lutte pour maintenir cette offre à la Pitié-Salpêtrière : "Il y a dix ans, on s'est rendu compte avec le professeur Dommergues que notre offre d'IVG était insuffisante. Un seul médecin généraliste les réalisaient. Il suffisait qu'il soit en vacances ou en arrêt pour que notre activité soit considérablement réduite".
Odile et Sonia, les deux infirmières du service, reçoivent les demandes d'IVG. En seulement trois jours, une femme peut obtenir un rendez-vous. © Radio France - Jeanne Cerin
Ensemble, ils vont donc soumettre un projet aux autorités de santé pour former Delphine Giraud. "Nous avons reçu l'autorisation de l'Autorité Régionale de Santé, mais du côté de la Haute Autorité de santé pas de réponse". Après de nombreuses discussions, l'idée finit par aboutir par un décret publié en décembre 2021 qui met en place une phase d'expérimentation d'un an pour ouvrir le droit de pratiquer des IVG instrumentales aux sages-femmes.
Une profession aux compétences encore non reconnues
Pour autant, les conditions d'applications demeurent strictes. L'exécutif fait reposer de nombreuses contraintes à l'application effective de l'expérimentation, sur un argument de sécurité. Parmi elles, l'observation de 30 IVG, la réalisation de 30 gestes supervisée par un médecin, la présence de trois médecins - généraliste, gynécologue obstétricien et anesthésiste réanimateur - dans l'enceinte de l'établissement de santé lorsque la sage femme est au bloc, entre autres.
De quoi faire réagir les sages-femmes de l'ANSFO. "On ne nous a jamais demandé de regarder trente accouchements avant de pouvoir en réaliser un, s'insurge Delphine Giraud, alors que les accouchements sont plus à risque qu'un IVG, en termes de complications possibles.
À écouter : Quand les sages-femmes manquent, les maternités ferment
Dans une salle de réunion, la sage-femme et le professeur Dommergues se retrouvent. Ils ne se sont pas vus depuis la publication du décret du 16 décembre 2023 qui parachève la phase d'expérimentation par une autorisation à toutes les sages-femmes à compter de ce jour. Une avancée majeure pour la sage-femme. "Avec ce décret, je vais pouvoir assurer une vraie continuité de soin à mes patientes, se réjouie Delphine Giraud. "Elles vont pouvoir retrouver la même personne en consultation et au bloc, c'est très rassurant pour elles".
130 centres d'IVG ont fermé ces dix dernières années
Mais en parcourant le décret, des interrogations persistent. Si le texte réduit à dix les IVG obligatoires à observer, la présence des trois médecins en plus de la sage-femme est toujours imposée. "C'est dommage", souffle la gynécologue Sophie Duchesnes qui revient du bloc opératoire. Cela va limiter l'accès aux soins avec la possibilité d'avoir cet exercice pour les sages-femmes uniquement pour celles qui se trouvent dans les grands centres qui disposent d'un plateau technique et qui ne sont pas les centres dans lesquels l'accès à l'IVG est aujourd'hui limité".
Cette ouverture aux sages-femmes répondait en effet à un besoin : rapprocher l’offre de soin et garantir un meilleur accès à l’IVG en France. Ici à la Pitié, les effectifs le permettent. Mais dans les déserts médicaux, les centres d’IVG sont de moins en moins nombreux. Selon le Planning Familial et un rapport d'information de l'Assemblée nationale, 130 d’entre eux ont fermé ces dix dernières années.