Le Reportage de la Rédaction
Samedi 20 janvier 2024
Avec le covoiturage sanitaire, des taxis craignent la perte du lien avec les patients
Le 11 décembre 2023, des taxis se mobilisent partout en France en opposition au covoiturage du transport médicalisé. ©AFP - Denis Charlet
Alors que le gouvernement prévoit d'élargir le covoiturage sanitaire pour réaliser des économies sur le transport médicalisé, de nombreux taxis s'y opposent. Parmi leurs craintes, celle de voir leur profession se déshumaniser face à la rationalisation du transport jusque dans le secteur médical.
En arrivant dans la cafétéria du centre de santé Gustave Roussy à Villejuif, les taxis ont leurs habitudes. Ils investissent les tables à gauche de l'entrée, commandent un café et patientent en enchaînant les pauses cigarettes. Lorsqu'ils déposent leurs clients le matin devant les portes de l'hôpital, l'attente peut parfois durer des heures. Ce matin, Mehdi, chauffeur de taxi indépendant à Paris, a patienté deux heures avant que ses clients sortent de leur rendez-vous.
Cela fait dix ans qu'il accompagne Thierry et sa femme Fatou dans tous leurs transports médicaux. Immunodéprimée, elle doit se rendre tous les mois à Paris pour des examens. Quant à lui, les médecins viennent de lui trouver un cancer de l'estomac. C'est la raison de leur déplacement du jour. "Ils m'ont appelé avant-hier pour me dire qu'un créneau s'était libéré pour une opération. J'ai tout de suite appelé Mehdi pour programmer une course", raconte Thierry à la sortie de son rendez-vous. Avec sa femme, ils habitent à cinquante kilomètres de Paris, près de Melun. Pour tous ces déplacements, l'option transport en commun a vite été écartée.
"Ils m'ont appelé avant-hier pour me dire qu'un créneau s'était libéré pour une opération. J'ai tout de suite appelé Mehdi pour programmer une course", raconte Thierry à la sortie de son rendez-vous. Avec sa femme, ils habitent à cinquante kilomètres de Paris, près de Melun. Pour tous ces déplacements, l'option transport en commun a vite été écartée.
"Chaque fois qu'on a besoin, on sait qu'on peut compter sur lui, témoigne Fatou. Quand il ne peut pas, il essaye toujours de nous trouver quelqu'un en urgence. Avec le temps, c'est devenu comme un membre de la famille. C'est très important pour nous d'être avec le même chauffeur, on a confiance en lui et il connaît nos problématiques".
"En covoiturage, on était traités comme du bétail"
Lorsqu'ils ont eu connaissance de l'ambition covoiturage avancée par le Ministère de la Santé, ils se sont vites inquiétés. Comme le prévoit le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024, à l'article 30, un patient qui nécessite un transport médical devra désormais réserver son chauffeur sur une application, pour partager la course avec d’autres patients.
S’il refuse ce partage, pas de tiers payant : il devra avancer les frais et sera remboursé uniquement sur la base du prix d'un transport partagé. "Avec ma maladie, si je prends la voiture avec quelqu'un qui a un rhume ou une grippe, ça peut m'être fatale", s'inquiète Fatou.
Thierry lui a connu le covoiturage sanitaire après un accident du travail il y a quelques années. La pose d'une orthèse l'oblige à recourir au transport médical et il choisit de faire appel à des véhicules sanitaires légers (VSL). Il partage la voiture avec trois autres personnes.
"Avec ma jambe j'avais des difficultés à m'asseoir. Le chauffeur me poussait pour me faire rentrer et m'a coincé la jambe pour ne plus que je bouge. On était traités comme du bétail", se souvient-il. Depuis qu'il sait que la Sécurité sociale peut prendre en charge ses déplacements médicaux en taxi, il n'a recours qu'à Mehdi et ne souhaite plus revenir en arrière.
Un casse-tête logistique
Au volant, Mehdi acquiesce. Co-président de la Team Taxi, une association représentative de la profession, il rapporte ses observations de terrain sur les réseaux sociaux. En décembre dernier, il a fait partie des taxis manifestant contre le projet de loi instaurant le covoiturage sanitaire.
"Ça ne marchera pas, balaye-t-il. Entre celui qui va pour une chimio qui doit à être à 7h à l'hôpital, le nombre de kilomètres, la circulation, le planning du médecin, la machine qui peut être en panne : c'est ingérable." Le covoiturage concerne aujourd'hui 15 % des transferts sanitaires. D'expérience, Medhi sait que cela entraîne des détours, des retards et des patients qui peuvent être mécontents à la fin de la course.
"Si ce sont des personnes qui vont à la même heure, au même endroit, avec des médecins qui vont les prendre à l'heure, nous on dit oui ! Mais on sait très bien que ça ne sera pas le cas", finit-il par lâcher, excédé.
Financièrement, Mehdi et les autres taxis indépendants ne seront pas impactés par la mesure. Le prix de la course restera le même. Mais, il craint pour l'essence de son métier : la relation entre lui et son client. "Moi je trouve du sens à amener quelqu'un dans de bonnes conditions et de le voir content quand je le dépose".
100 millions d'euros d'économies par an
Avec ces plateformes et la rationalisation du transport sanitaire, le ministère veut réaliser 100 millions d’euros d’économie par an. Car pour les auteurs du texte de loi, ce transport pèse trop lourd dans les caisses de l’Assurance maladie : 5,5 milliards d’euros en 2022, avec 65 millions de trajets réalisés par les taxis et VSL.
"Il y a sûrement des économies à faire dans le domaine de la santé ou du transport, mais ça ne peut pas se faire au détriment du lien et de l'humain", défend Mehdi.
Le gouvernement assure que cette mesure ne s’appliquera que lorsque le transport partagé est possible et autorisé par le médecin. Mais quelles malades seront concernés ? Combien de personnes devront-ils transporter ? Comment fonctionneront les plateformes de réservation ? Les taxis en sauront plus le 12 janvier. Ils sont invités au ministère de la Santé pour une mise au point sur toutes les modalités d’application.