Le Reportage de la Rédaction
Lundi 25 mars 2024
En Seine-et-Marne, le nouveau RPR chasse sur les terres de la droite
Fabien Vallée, maire de Jouarre en Seine-et-Marne, vice-président de la section locale du nouveau RPR ©Radio France - Jeanne Cerin
Après le rachat du sigle du parti par un député du Rassemblement National, le RPR, le Rassemblement pour la République, renaît de ses cendres, plus de vingt ans après sa disparition. En Seine-et-Marne, des édiles de droite se laissent séduire par le projet.
Sur la place du village, une allée centrale sépare l’abbaye de l’église communale. Jouarre, commune d'un peu plus de 4000 habitants, est connue dans le département pour ce patrimoine. Un héritage qui rend fier son maire, Fabien Vallée : "Il faut toujours garder à l'esprit qu'on porte un héritage historique très important et qu'on doit le respecter", confie-t-il.
L'abbaye de Jouarre, datant du VIIe siècle, héberge toujours une communauté de quarante moniales © Radio France - Jeanne Cerin
Élu en 2014, sans étiquette, mais se revendiquant "d'une droite conservatrice", il est entré en politique dans les années 2000, à l’époque où le RPR était déjà mort. Et pourtant, en apprenant la renaissance du parti gaulliste, le projet l’inspire. "J'ai découvert le nouveau RPR sur les réseaux sociaux et j'ai compris qu'il avait une dynamique de remise en place de ce parti qui pour moi veut dire beaucoup : le sentiment de l'action, du respect du régalien, et une image brillante de notre pays".
Une terre de droite
Fabien Vallée n’en est pas à son premier engagement. Son premier encartement a d’abord été chez Les Républicains. Jusqu’en 2017 : l’arrivée du macronisme, et ce qu’il appelle la trahison des LR. "Nous sommes ici dans la cinquième circonscription de Seine-et-Marne dont le député historique est Franck Riester, aujourd'hui ministre délégué. À cet époque, il crée le parti Agir, qui deviendra ensuite le pont entre des élus de droite et le macronisme", se souvient-il avec amertume*.*
"Nous ici, on a un vécu local d'un sentiment de trahison." lâche-t-il*.* De son côté, il rejette en bloc ce nouveau mouvement. "Je ne me reconnait pas dans cette nouvelle façon de faire de la politique". Il reste donc chez les Républicains, mais finit par regretter les grandes heures de son parti : "Aujourd'hui, je n'ai pas l'impression que mes valeurs soient représentées par mon parti historique, qui est plutôt en déclin".
Ces valeurs, cependant, il les retrouve dans ce nouveau RPR. Relancé par le député Rassemblement National des Bouches-du-Rhône, Franck Allisio, le mouvement, ne se veut pas directement affilié au RN mais souhaite rassembler des élus locaux de droite actuellement en déshérance politique.Fabien Vallée s’y engage donc en janvier 2024, avec quarante autres membres. Il devient même vice-président de l’antenne de Seine et Marne, la quatrième à s’implanter localement, après les Bouches du Rhône, l’Aude et l’Aisne.
Mais ce département en Ile-de-France n’a pas été choisi par hasard pour accueillir la nouvelle locale. C’est une terre de droite, longtemps acquise aux Républicains. Au Sud Est : Provins, chez l'ancien président du parti Christian Jacob. Au nord ouest, Meaux, la ville de l'ex-ministre de Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé. Ce dernier observe de loin l’implantation de ce nouveau mouvement dans son département.
"C'est une énième usurpation d'identité à laquelle se livre l'extrême droite", réagit le maire de Meaux. Pour lui cette récupération de l'héritage du gaullisme, est "à mourrir de rire". Il accuse le RN de pratiquer un double langage, avant de rappeler : "L'histoire de l'extrême droite c'est l'antithèse du gaullisme".
Une récupération mémorielle pas nouvelle, mais qui franchit un cap
A droite, cette récupération fait grincer des dents. Car si ce mouvement se veut indépendant du Rassemblement national dans les statuts, des cadres du RN l’envisage déjà comme un sas de ralliement en vue des prochaines élections municipales. Leurs cibles : des élus locaux qui n’assumeraient pas un affichage Rassemblement National franc. L’étiquette RPR est plus lisse, plus acceptable. Si le maire de Jouarre Fabien Vallée ne souhaite pas prendre sa carte au RN aujourd'hui, il a cependant accepté d'être soutenu par le parti lors des élections départementales en 2021. Lui valant par la même occasion son exclusion des Républicains.
Cette récupération mémorielle du parti gaulliste participe, selon la politologue Safia Dahani, spécialiste de l’extrême droite, au processus de normalisation du RN. "On réécrit une filiation historique pour replacer le RN à droite plutôt qu'à l'extrême droite." Tout en donnant des gages de crédibilité en s'affichant dans la filiation du RPR, parti qui a su arriver au sommet du pouvoir politique.
Cela produit aussi, dans le même temps selon elle, une concurrence directe avec Les Républicains. "Les travaux récents montrent que l'augmentation de l'électorat du Rassemblement National est en grande partie dû à des trajectoires de radicalisation d'électeurs de droite".
Et si la création de coalitions et de micros partis a toujours existé à l’extrême droite - Rassemblement bleu Marine, en 2012, par exemple - la conjoncture ici n’a jamais été aussi favorable au RN qui pourrait s’offrir avec ce nouveau RPR ce qui lui a toujours manqué : un ancrage local. "L'inscription locale, c'est ce qui marque les grands partis et la manière de faire de la politique de manière professionnelle", analyse la politologue.
"Si la stratégie de Franck Allisio est d'aller capter des élus locaux déjà installés dans leur bastion, c'est pour faire de la politique municipale à moindre coût : pour les prochaines élections, vous avez déjà des personnes installées qui savent comment battre la campagne", conclut-elle*.*
Reste à savoir si ce nouveau mouvement finira aux oubliettes comme les précédents, ou s’il réussira à séduire des électeurs et des élus en déshérance. Pour le moment, l’implantation locale poursuit son chemin. Une nouvelle antenne RPR doit être inaugurée dans les prochaines semaines, en Occitanie.