Le Reportage de la Rédaction
Lundi 13 mai 2024
Festival de Cannes : une meilleure mais incomplète prise en charge des violences sexuelles sur les tournages
La Palme d'Or d'honneur lors du Festival de Cannes le 18 mai 2022. ©AFP - VALERY HACHE
Le Festival de Cannes s’ouvre mardi 14 mai alors qu’une commission de l’Assemblée nationale commencera à partir du 20 mai à enquêter sur les violences sexuelles dans le monde du cinéma. Le Centre national du cinéma s’est emparé de ce problème depuis quelques années mais il reste encore du travail.
La commission d'enquête sur les "abus et violences" dans le cinéma se forme le lundi 13 mai à l'Assemblée nationale, à la veille de la 77e édition du Festival de Cannes. Ce grand rendez-vous du cinéma international pourrait être perturbé cette année par la possible publication d'accusations de violences sexuelles visant des acteurs en compétition. La présidente du Festival assure suivre la situation "de près" et explique qu'en cas d'accusation, elle prendra des décisions "au cas par cas". Cette quinzaine se déroule aussi à l'heure où deux procès majeurs attendent le cinéma français à ce sujet : celui de Gérard Depardieu pour agressions sexuelles sur un tournage, et celui de Dominique Boutonnat, président du Centre national du Cinéma, également pour agression sexuelle mais qui relève de la sphère privée. À Cannes, un court-métrage consacré aux victimes de violences sexuelles sera d'ailleurs présenté, il a été réalisé par Judith Godrèche, devenue un symbole de la libération de la parole sur le sujet, après avoir dénoncé le réalisateur Benoît Jacquot. Toutes ces accusations et prises de parole questionnent sur la prise en charge des violences sexistes et sexuelles sur les tournages.
Depuis 2021, un producteur doit mettre en place sur chaque tournage une procédure de signalement, pouvoir recueillir des témoignages, et si cela s'impose, prendre des sanctions. Tout ce protocole lui a été expliqué lors d'une formation qui conditionne désormais les aides versées par le Centre national du Cinéma. Carole Lambert, la productrice du film Le Consentement, n'a jamais été confrontée à des violences sexistes ou sexuelles sur l'un de ses tournages mais elle estime pouvoir mieux remplir son rôle, celui de garante de la sécurité de son équipe depuis cette formation. "Elle responsabilise aussi beaucoup sur le fait qu’on est responsable de nos équipes hors le temps de plateau. Ce qu’on appelle le temps de plateau, c’est le temps de tournage effectif. C’est vrai que lorsqu’on travaille en province, on est responsables des gens le soir, le week-end. Il faut aussi encadrer tout cet aspect-là, et être extrêmement vigilant", explique cette productrice.
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Illustration. Indication d'un tournage de film sur le tournage d'un 52 minutes, pour les fêtes de Noël, de la série TV "Askip" pour France Télévisions. © Maxppp - Alexandre Marchi / L'Est Républicain
Une formation étendue à toute l’équipe du film
Plus de 4 000 producteurs, notamment de cinéma, sont désormais formés. À partir de juillet 2024, le CNC va renforcer ce dispositif en imposant une formation à toute l'équipe d'un film : réalisateur, comédiens et techniciens. Parmi les autres mesures obligatoires déjà en place, il y a la présence sur le plateau d’un référent chargé de repérer et de signaler les violences doit être présent sur le plateau. Cette personne, qui est volontaire, fait partie de l'équipe et c’est ce point qui pose problème selon la comédienne Estelle Simon, de l'association Actrices et Acteurs de France Associés : "Je pense que ce serait important d’avoir des personnes qui sont détachées de la production. Si j’avais eu un référent qui n’était concerné que par cela, je lui aurais certainement parlé de tout ce que j’ai pu subir. Parler à quelqu’un qui fait partie du système d’une certaine façon, c’est compliqué".
De plus, ce référent n'est pas nécessairement formé. Il peut l'être malgré tout avec le groupe Egaé. Cet organisme propose des formations supplémentaires, approfondies et nécessaires d'après sa directrice, Caroline De Haas, puisque la prise en charge des violences est d'autant plus complexe dans ce milieu. "La spécificité quand on intervient dans le monde du cinéma, souligne-t-elle, c’est la taille des équipes et la durée du contrat de travail. Cela rend plus difficile par exemple le fait de faire une enquête. Un dirigeant d’une société de production n’est pas formé à faire une enquête interne. Une enquête interne peut durer un mois ou deux mois et quand vous avez un tournage qui dure dix jours, c’est plus difficile à organiser. Je pense qu’il y a des choses à inventer, c’est-à-dire qu’il faudrait trouver des outils sur-mesure pour le monde du cinéma pour traiter les cas de violences lorsqu’ils ont lieu sur les tournages. Il pourrait par exemple y avoir des enquêtes express. Autrement dit, si un fait remonte, une structure extérieure viendrait alors trois jours sur le tournage pour identifier la nature et la réalité des faits".
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Un dispositif d’assurance créé en 2021
Face à une accusation de violences sexuelles, le protocole prévoit qu'il faut protéger la victime et écarter la personne accusée. Cela a forcément des répercussions sur le tournage s'il s'agit du réalisateur ou de l'acteur principal. Il faut trouver un remplaçant, une alternative. Les enjeux financiers étant importants, le CNC a créé un dispositif d'assurance . Il permet de mettre sur le film sur pause pendant cinq jours, le temps de trouver une solution et d'être indemnisé. Pourtant, cette clause n’a jamais été déclenchée depuis sa création en 2021. Elle peut l'être uniquement lorsqu'un signalement au procureur de la République a été effectué. Le temps judiciaire n'est pas celui du cinéma, reconnaît Leslie Thomas, déléguée générale du CNC : "C’est effectivement compliqué aujourd’hui dans le mode opératoire. Ce n’est pas correctement adapté. Il faut donc passer à une autre étape et on est justement en cours de discussion avec les assureurs pour essayer de faire évoluer cette clause assurantielle qui couvre le risque d’interruption d’un tournage lorsqu’il y a eu un signalement d’une situation de violence". Ces discussions devraient aboutir courant 2025. Le montant de cette indemnisation peut grimper jusqu'à 500 000 euros.