A quelques jours des commémorations des 80 ans du Débarquement de Normandie, l'Assemblée nationale met en avant les "plans secrets" de la Résistance française. Ces plans, dits Vert, Bleu, Violet, Rouge et Bibendum, sont au cœur d'une exposition installée dans la salle des pas perdus du palais Bourbon, qui met en lumière le détail de ces contributions jugées par la suite essentielles à la réussite de l'opération.
Des manuscrits, d’autres document dactylographiés, tous sur des feuilles un peu jaunies, de loin, "ça n’a l’air de rien", admet l’historien Bruno Fuligni, conseiller mémoire de la présidente de l’Assemblée nationale. A s'y pencher de plus près, on y découvre ici les chapitres du plan Violet, qui vise à couper les communications téléphoniques, là une mise au point du plan Vert pour saboter les voies ferrées, là encore, les urgences listées dans le plan Bibendum pour empêcher les déplacements routiers…
"Réseau des câbles souterrains à grande distance, plan photographié annexé au plan Violet" © Radio France - Rosalie Lafarge
Des plans jugés essentiels
"Ce sont ces plans qui vont permettre de déclencher plein d'opérations coordonnées au moment du Débarquement et donc d'apporter une aide colossale aux Alliés", souligne Bruno Fuligni, précisant qu'ils étaient déclenchés par des "broadcasts", ces "messages mystérieux envoyés sur Radio Londres". "Par exemple, 'Mathurin adore les épinards', les épinards, c'est vert, donc c'est le plan Vert qu'il faut déclencher", raconte-t-il encore à Yaël Braun-Pivet. La patronne du palais Bourbon, qui se dit émue face à ces documents exposés : "on voit à quel point c'est précis, minutieux, préparé, organisé".
Marie Dewavrin, petite-fille du colonel Passy, et Sylvie Pierre-Brossolette, petite fille de Pierre Brossolette, adjoint du colonel Passy au BCRA © Radio France - Rosalie Lafarge
L'organisation, on la doit au colonel Passy, de son vrai nom André Dewavrin, qui monte en juillet 1940, les services secrets de la France libre qui deviendront le BCRA, bureau central de renseignement et d'action. Sa petite-fille, Marie Dewavrin, vient de faire don des archives familiales au Service historique de la Défense et partage, elle aussi, son émotion face aux documents de son grand-père exposés à l'Assemblée.
"Ces plans, qui ont permis de retarder les divisions allemandes de 48 heures, sont un peu l'illustration, le fruit de tout ce travail effectué pendant quatre ans. Et c'est quand même très émouvant, surtout quand on sait qu'au départ, ils n'avaient aucune formation, mon grand-père n'avait pas la moindre idée de ce qu'était un service de renseignement, et à partir de rien, ils ont créé des plans qui ont eu une importance considérable puisque même le chef des services secrets américains, William Donovan, a dit que 80% des renseignements ayant servi au Débarquement provenaient de ce service créé par ces amateurs".
Une note personnelle du général de Gaulle au colonel Passy, exposée à l'Assemblée nationale © Radio France - Rosalie Lafarge
Un service créé et alimenté par des amateurs
Effectivement, ces Résistants qui ont créé puis alimenté le BCRA n'y connaissaient pas grand-chose confirme Rémi Kauffer. "Le renseignement gaulliste est particulier en ceci qu'il part de zéro, le colonel Passy n'était pas un spécialiste de la question, il a donc fallu improviser", explique l'historien du renseignement. Et il poursuit, "le deuxième trait saillant du BCRA, c'est que c'est un service de renseignement (SR) qui s'appuie beaucoup sur la société civile. Le SR d'avant-guerre était une affaire de militaires, le BCRA sera largement une affaire de société civile. D'ailleurs, les gens en France qui étaient dans les réseaux de renseignement de la Résistance, soit à peu près 55 000 personnes dont 3/5è dans les réseaux gaullistes, étaient pour la plupart des amateurs. Dans le meilleur des cas – le général de Gaulle l'écrira après-guerre – ils avaient lu des romains d'espionnage qui leur donnaient le b.a.-ba des pratiques clandestines, mais pour le reste ils ont été obligés d'improviser, d'où d'ailleurs des hécatombes, parce que ce n'était pas des professionnels".
Des effets personnels du colonel Passy parmi lesquels sa chevalière dont le chaton mobile servait à dissimuler une pilule de cyanure en mission © Radio France - Rosalie Lafarge
À écouter : Les espions de l'Armée des ombres
Mais ensemble, collectivement, ils ont fait "quelque chose d'immense", salue la présidente Renaissance de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, convaincue de l'écho que cela doit avoir aujourd'hui. "La montée des extrêmes partout en Europe et en France évidemment, la montée des haines, de l'antisémitisme, de l'intolérance, du racisme, c'est cela qui doit nous préoccuper. Il est grand temps que la raison reprenne le dessus et que tous les républicains s'unissent pour dire que ces haines, ce n'est pas notre République. Et pour cela, je pense qu'il est fondamental de toujours bien remettre en perspective les choses, de bien voir qu'on a toujours à apprendre de cette histoire, qu'il faut s'irriguer des débats qui ont eu lieu, des actions des uns et des autres. Tout ne démarre pas en 2024, et malheureusement, on a parfois le sentiment qu'on oublie ce qu'il s'est passé auparavant", insiste l'élue.
La présidente Renaissance de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet © Radio France - Rosalie Lafarge
Un "puzzle" qui reste à compléter
C’est en cela, souligne Patricia Mirallès, secrétaire d’Etat chargée des anciens combattants et de la mémoire, que ce don d’archives de la part de la famille Dewavrin est capital. "Cela permet aux historiens de pouvoir continuer à ajouter les pièces manquantes du puzzle, précise-t-elle, et cela permet aussi de faire comprendre à la jeunesse – parfois en manque d'identité aujourd'hui – qu'il y a des femmes et des hommes qui étaient engagés. Etaient-ils plus courageux que nous ? Je ne sais pas. Ferions-nous la même chose ? Je ne sais pas. Mais on doit se poser la question", pose-t-elle.
Patricia Mirallès, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Armées, chargée des Anciens combattants et de la Mémoire © Radio France - Rosalie Lafarge
D'autant plus que les témoins de cette histoire, petit à petit, disparaissent, ajoute Sylvie Pierre-Brossolette, la petite-fille de Pierre Brossolette, qui était l'adjoint du colonel Passy à la tête du BCRA. "Il n'y aura bientôt plus que les gens qui ont connu les gens, et forcément, cela paraîtra de plus en plus lointain, il est donc extrêmement important, à chaque fois que cela est possible, de saisir l'occasion de faire revivre l'histoire pour essayer de toucher les gens. Les dons d'archives – comme celui des Dewavrin – incitent aussi beaucoup de familles à aller regarder dans leurs greniers les papiers, les éléments qu'ils auraient pu négliger, salue-t-elle. Et chaque occasion de découverte de papier est une occasion de mémoire, or il n'y a pas de peuple sans mémoire".
À écouter : Pierre Brossolette, la voix de la France libre
Et pour continuer à compléter le puzzle, il y a trois mois, au moment d'engager le cycle des commémorations du 80è anniversaire de la Libération, Emmanuel Macron a lancé un grand appel au don d’archives privées, invitant tous les Français à remettre à un service public d’archives les documents qu’ils pourraient détenir sur cette page de notre histoire, pour les faire passer de la mémoire familiale, à la mémoire nationale.
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