Éditorial - La défense nationale est l’affaire de tous
Le Monde
Alors que l’exécutif a annoncé, mardi, vouloir augmenter le budget des armées à 413 milliards d’euros pour la période 2024-2030, il est plus que jamais nécessaire, dans le climat social actuel, d’expliquer les enjeux stratégiques liés à ces sommes colossales.
Publié aujourd’hui à 10h30 Temps de Lecture 2 min.
La loi de programmation militaire présentée en conseil des ministres, mardi 4 avril, confirme si besoin était que l’heure en Europe est au réarmement, précipité par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et le retour de la guerre conventionnelle. Cette agression a ouvert une nouvelle page stratégique dans laquelle la possession d’armes en quantité respectable donne également du poids à la diplomatie.
La France n’est certes pas contrainte, à la suite de l’agression russe, à une révolution aussi profonde que celle que vit l’Allemagne − ou même le Japon, lui aussi engagé dans un réarmement historique face à la Chine. La précédente loi de programmation militaire avait déjà amorcé un changement d’ère, après des décennies d’attrition au nom des « dividendes de la paix », après la fin de la guerre froide. C’est cet effort qui est accentué avec les 413 milliards d’euros que le gouvernement entend consacrer à la défense d’ici à 2030.
Alors que les voisins immédiats de la France annoncent tous des augmentations qui pourraient leur permettre de parvenir à un montant de dépenses équivalant à 2 % de leur produit intérieur brut (PIB), l’objectif longtemps demandé par les Etats-Unis dans le cadre de l’OTAN, l’exercice est rendu particulièrement difficile à Paris par une somme inédite de contraintes. Elles dépassent de beaucoup celles liées à la « loi d’Augustine », du nom d’un responsable du Pentagone qui a le premier formalisé la pression inflationniste induite par la part exponentielle prise par la technologie dans le matériel militaire.
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La caractéristique française de puissance dotée de l’arme nucléaire engloutit en amont de toute réflexion sur la nature des menaces une partie considérable des dépenses militaires, d’autant que la France entend maîtriser dans leur totalité les composantes de l’arme suprême. Le pays doit également répondre au défi complexe de sa géographie qu’illustre la taille de son domaine maritime, le deuxième au monde.
Un débat trop souvent confiné
L’équation est donc autrement plus difficile que celle à laquelle est confrontée la Pologne, par exemple, qui entend porter son effort à 4 % de son PIB pour répondre à un enjeu parfaitement circonscrit : la défense de sa frontière orientale. Les ambitions françaises assumées dans la vaste région de l’Indo-Pacifique ne font que le souligner, tout comme l’annonce de la mise en chantier du successeur du porte-avions Charles-de-Gaulle.
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Les sommes annoncées peuvent donner le vertige et susciter l’incompréhension, compte tenu de l’état inquiétant des finances publiques du pays, surtout dans le contexte des tensions sociales déclenchées par la réforme du financement des retraites. Il faut donc souhaiter que la représentation nationale se saisisse de cette loi de programmation militaire et ouvre un débat trop souvent confiné, du fait des institutions et de leur pratique, au périmètre étroit de la présidence de la République.
L’invasion russe et le retour de la guerre sur le sol européen ont rappelé la centralité des questions de défense, après des années d’indifférence. L’extrême technicité de ces dossiers ne doit pas empêcher une conversation sur les menaces potentielles auxquelles le pays doit pouvoir faire face. Cette conversation indispensable ne permettra pas seulement de rendre ces investissements colossaux intelligibles et acceptables, elle ne pourra que contribuer à sa manière à la nécessaire cohésion nationale.
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