Éditorial - Taïwan : les mérites du statu quo
Le Monde
Dans un monde en crise, Pékin et les Occidentaux ont intérêt à calmer le jeu après la troisième victoire d’affilée, à l’élection présidentielle taïwanaise du 13 janvier, d’un candidat opposé à la réunification avec la Chine continentale.
Publié aujourd’hui à 09h16 Temps de Lecture 2 min.Ajouter à vos sélections
Décidément, les Taïwanais sont des gens têtus. C’est l’amère conclusion que tire peut-être Pékin de l’élection, samedi 13 janvier, de Lai Ching-te à la présidence de l’île, remportée pour la troisième fois d’affilée depuis 2016 par un candidat du Parti démocrate progressiste (DPP), dont la charte proclame l’ambition indépendantiste.
Lire aussi le portrait : Article réservé à nos abonnés Lai Ching-te élu président de Taïwan pour des années houleuses face à la Chine
Le score réalisé par le président élu (40 %, face à deux adversaires) est certes en net recul par rapport à celui de la présidente sortante, Tsai Ing-wen, qui avait obtenu 57 % en 2020 pour son deuxième mandat, et le DPP a perdu la majorité au Parlement. Mais, même si ce parti et le président élu, dans la pratique, s’abstiennent de rechercher l’indépendance et privilégient le statu quo, il est clair que l’électorat taïwanais refuse obstinément la réunification revendiquée par la Chine.
Selon les études d’opinion, près des deux tiers des habitants de l’île s’identifient aujourd’hui comme « Taïwanais » plutôt que comme « Chinois » ou « Chinois et Taïwanais », contre 17 % il y a trente ans. La répression à Hongkong depuis que le territoire a été rétrocédé à la Chine a par ailleurs ôté tout attrait au concept « un pays, deux systèmes » pour les électeurs à Taïwan.
Lire aussi le décryptage : Article réservé à nos abonnés Après la victoire de Lai Ching-te à Taïwan, la stratégie de la Chine remise en question
M. Lai exprime cette obstination taïwanaise de manière plus radicale que Mme Tsai, ce qui ajoute à l’irritation du pouvoir chinois. Tout pas vers l’indépendance sera « sévèrement puni par l’histoire et la loi », a averti dimanche le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi. En retour, Pékin a été prié par la diplomatie de Taipei de « respecter le résultat de l’élection, faire face à la réalité et renoncer à réprimer Taïwan ».
Grande retenue
Face à cette tension quasi structurelle mais susceptible de dégénérer à tout moment dans une région fortement militarisée, que peuvent faire les Occidentaux ? Calmer le jeu apparaît comme la meilleure solution à ce stade, dans un monde soumis à une multiplicité de crises. Le président Joe Biden a pris soin dès samedi de rappeler que les Etats-Unis ne soutenaient pas l’indépendance de Taïwan.
Son secrétaire d’Etat, Antony Blinken, a posté sur le réseau social X un message de félicitations « au Dr Lai Ching-te pour sa victoire à l’élection présidentielle », ainsi qu’au « peuple taïwanais pour la vigueur de son système démocratique », mais Washington a souligné que deux anciens hauts responsables américains arrivés sur l’île dimanche, Stephen Hadley et James Steinberg, pour rencontrer les nouveaux élus agissaient en « capacité privée ». On est loin du coup d’éclat de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants alors en fonctions, dont la visite sur l’île en 2022 avait fait brutalement monter la tension avec Pékin.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Hsiao Bi-khim, la candidate à la vice-présidence taïwanaise, amie des Etats-Unis et bête noire de la Chine
Pour leur part, les Européens ont fait preuve d’une grande retenue. Le communiqué du Quai d’Orsay, comme celui du service diplomatique de l’Union européenne, félicite « les électeurs » et « les élus », sans spécifier le nom du vainqueur du scrutin, et salue leur attachement au processus démocratique. Il rappelle aussi l’importance de « la paix, de la stabilité et du statu quo » dans le détroit de Taïwan.
Ce rappel est opportun. C’est précisément celui qui manquait aux déclarations d’Emmanuel Macron, à l’issue de sa visite à Pékin en avril 2023. Son invitation à ne pas suivre le « rythme américain » dans la relation avec la Chine avait suscité une vive polémique. Il serait aussi opportun que Pékin observe la même retenue, cesse de menacer Taipei et évite toute escalade dans le détroit.