Inaction climatique : la Suisse condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, une première pour un Etat
La décision historique a été prise après une requête de 2 500 femmes qui dénonçaient des « manquements des autorités suisses pour atténuer les effets du changement climatique ». La France n’a pas été condamnée à la suite d’une autre requête, déposée par l’ex-maire de Grande-Synthe.
Le Monde avec AFP
Publié aujourd’hui à 11h19, modifié à 14h47
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Des membres de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) durant une audience au cours de laquelle ils ont rendu des arrêts sur trois affaires distinctes, concernant la responsabilité des États en matière d’action contre le réchauffement climatique, à Strasbourg, dans l’est de la France, le 9 avril 2024. FREDERICK FLORIN / AFP
Jamais la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ne s’était prononcée sur la responsabilité des Etats en matière d’action contre le changement climatique. Mardi 9 avril, la CEDH a rendu un arrêt condamnant la Suisse pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme, après une requête portée par 2 500 femmes qui dénonçaient des « manquements des autorités suisses pour atténuer les effets du changement climatique » qui, selon elles, ont des conséquences négatives sur leurs conditions de vie et leur santé.
La CEDH devait dire si les Etats visés avaient enfreint la convention, en particulier le « droit à la vie » (article 2) et le « droit au respect de la vie privée et familiale » (article 8), en ne luttant pas suffisamment contre le réchauffement climatique, alors qu’un nouveau pic de chaleur au niveau mondial a été enregistré au mois de mars.
A une majorité de seize voix contre une, la CEDH a établi, pour l’affaire suisse, qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée et familiale de la convention et, à l’unanimité, violation de l’article 6 (« droit à un procès équitable »). La CEDH affirme ainsi que l’article 8 consacre le droit à une protection effective, par les autorités de l’Etat, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie.
« Un arrêt historique »
La cour a donc considéré que l’association était habilitée à agir en justice pour le compte de personnes pouvant faire valoir que leurs conditions de vie et leur santé étaient menacées par le changement climatique. Mais pour les quatre requérantes individuelles, la CEDH a jugé qu’elles ne remplissaient pas les critères relatifs à la qualité de victimes et a donc déclaré leurs requêtes irrecevables.
« L’arrêt d’aujourd’hui est un arrêt historique et nous sommes vraiment très très heureuses d’avoir porté ceci jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme », a lancé Anne Mahrer, l’une des militantes écologistes suisses qui a fait condamner Berne. « Maintenant, nous allons être extrêmement attentives a ce que la Suisse mette en œuvre la décision. »
Greta Thunberg, présente à Strasbourg, a salué « le début » en matière de contentieux climatiques. « Partout dans le monde, de plus en plus de gens traînent leurs gouvernements devant les tribunaux pour les tenir responsables de leurs actions. En aucun cas nous ne devons reculer, nous devons nous battre encore plus parce que ce n’est que le début », a lancé la jeune militante suédoise pour le climat.
Si la Suisse a été condamnée, deux autres requêtes ont été rejetées : celle d’un ancien maire écologiste d’une commune littorale du Nord de la France, et surtout celle très médiatisée de jeunes Portugais contre 32 Etats.
Deux autres requêtes, dont celle visant la France, rejetées
Manifestation devant la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg, le 9 avril 2024. CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS
La requête déposée par Damien Carême, ancien maire de Grande-Synthe et actuel eurodéputé, a été rejetée. Il attaquait les « carences » de l’Etat français, estimant notamment qu’elles font peser sur la ville, littorale de la mer du Nord, un risque de submersion. M. Carême n’a pas été reconnu comme victime, a déclaré la présidente de la CEDH, Siofra O’Leary.
En 2019, il avait déjà, en son nom propre et en tant que maire, saisi le Conseil d’Etat pour inaction climatique. La plus haute juridiction administrative avait donné raison à la commune, mais avait rejeté sa demande individuelle, l’amenant donc à saisir la CEDH. « Voir ma ville submergée dans trente ans est insupportable », justifiait M. Carême, expliquant vouloir « en finir avec la léthargie » et « le refus d’agir de l’Etat ».
Même issue pour la troisième affaire soutenue par un collectif de six Portugais âgés de 12 à 24 ans, mobilisés après les terribles incendies qui ont ravagé leur pays en 2017. Leur requête était dirigée contre leur pays et contre les autres Etats de l’Union européenne, ainsi que la Norvège, la Suisse, la Turquie, le Royaume-Uni et la Russie − soit trente-deux pays au total. Les requérants n’ayant pas épuisé les voies de recours disponibles au Portugal, leurs requêtes ne remplissent pas les conditions de recevabilité, a expliqué Mme O’Leary, en prononçant cette décision à Strasbourg.
Même si leur requête a été rejetée, les Portugais estimaient que cet échec était largement compensé par la décision concernant la Suisse. « J’espérais que nous allions gagner contre tous ces pays, je suis donc à l’évidence déçue », a déclaré l’une des plaignantes, Sofia Oliveira, 19 ans. « Mais le plus important c’est que la Cour a considéré, dans le cas des Suissesses, que les Etats doivent réduire davantage leurs émissions afin de défendre les droits de l’Homme. Leur victoire est donc une victoire aussi pour nous et une victoire pour tout le monde ! »