Éditorial - En Europe, Xi Jinping a choisi son camp
Le Monde
La première tournée du président chinois sur le Vieux Continent depuis cinq ans a surtout été l’occasion de réaffirmer les ambitions économiques et géopolitiques de Pékin, en exploitant les divisions au sein de l’Europe.
Publié hier à 11h00 Temps de Lecture 2 min.
Mission accomplie : à l’aune des ambitions chinoises, c’est probablement le sentiment qui dominait dans l’avion présidentiel chinois lorsqu’il a décollé de Budapest, vendredi 10 mai, à l’issue de la première tournée de Xi Jinping en Europe depuis cinq ans. Ce voyage, qui a mené le président chinois en France, puis en Serbie avant la Hongrie, lui a essentiellement permis d’afficher les objectifs commerciaux et géopolitiques de la puissance chinoise, sans offrir de concessions aux dirigeants de l’Union européenne (UE).
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L’itinéraire choisi par M. Xi était déjà un message en soi. Le président serbe, Aleksandar Vucic, comme le premier ministre hongrois, Viktor Orban, sont deux interlocuteurs difficiles pour les dirigeants européens et ne cachent pas leurs bonnes relations avec le Kremlin. Le choix de Belgrade et de Budapest après Paris était une façon d’appuyer là où les divisions de l’Europe font mal.
A Paris, le président Emmanuel Macron avait opportunément associé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, aux premiers entretiens avec le président Xi, comme il l’a toujours fait. Il n’a malheureusement pas réussi à y attirer le chancelier allemand, Olaf Scholz, dont la politique à l’égard de la Chine reste dominée par les intérêts de ses propres industriels.
Service minimum sur l’Ukraine
Cette absence – Angela Merkel était venue à Paris lors de la précédente visite du président Xi en 2019 – a affaibli la position de fermeté clairement formulée par Mme von der Leyen et M. Macron sur les graves différends commerciaux entre la Chine et l’UE, qui étaient l’un des deux gros enjeux, vus de Paris, des discussions avec le dirigeant chinois. Alors que Bruxelles cherche à contrer les politiques publiques de Pékin grâce auxquelles les producteurs chinois de voitures électriques, notamment, inondent les marchés européens, M. Xi a imperturbablement nié « un prétendu problème de surcapacités ».
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Il en est allé de même sur le deuxième dossier prioritaire pour Paris et Bruxelles : la guerre en Ukraine. Face à ses interlocuteurs qui lui demandaient de ne pas soutenir l’effort de guerre russe, Xi Jinping a fait le service minimum en privé, puis s’est offusqué en public que l’on puisse ainsi chercher à « noircir l’image » de la Chine, voire « inciter à une nouvelle guerre froide ». Le président chinois accueillera Vladimir Poutine à Pékin ce mois-ci.
Les étapes serbe et hongroise ont été nettement plus chaleureuses – et économiquement plus fructueuses. A Belgrade, le choix du jour anniversaire du bombardement de l’ambassade de Chine par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pendant la guerre du Kosovo, le 7 mai 1999 – Pékin n’a jamais accepté la thèse de Washington selon laquelle il résultait d’une erreur – était une façon de perpétuer l’image d’agresseur de l’OTAN. Quant à la Hongrie, dont M. Xi a salué la politique étrangère « indépendante », elle s’est vu gratifier de 18 accords de coopération économique et d’une promotion à l’un des grades les plus élevés dans la qualification de son partenariat stratégique avec Pékin.
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Clairement, Xi Jinping a choisi son camp en Europe, celui des dirigeants à tendance autocratique, avides d’investissements chinois sans être regardants. Les experts qui disaient le président chinois prêt à flatter l’autonomie stratégique européenne pour enfoncer un coin avec les Etats-Unis et renforcer son idée de « monde multipolaire » en sont pour leurs frais. Le monde multipolaire de Xi Jinping se veut d’abord un monde aux caractéristiques chinoises.