Éditorial - L’inacceptable guerre d’Israël contre la liberté d’informer à Gaza
Le Monde
Plus de 100 journalistes palestiniens ont été tués dans des bombardements à Gaza, y compris lorsqu’ils portaient des gilets presse identifiant leur profession. Ce bilan sanglant et ce blocus de l’information imposé par Israël doivent cesser au plus vite.
Publié aujourd’hui à 10h50, modifié à 11h34 Temps de Lecture 2 min. Read in English
La qualité d’une démocratie se mesure par de nombreux critères, dont le respect apporté à la liberté d’informer. A cette aune, la volonté israélienne de réduire au silence les médias palestiniens et internationaux à Gaza ne peut qu’inquiéter et être condamnée avec force. L’enquête collaborative coordonnée par Forbidden Stories, à laquelle treize médias internationaux, dont Le Monde, ont participé, met en effet en évidence, en dépit des dénégations officielles de l’Etat hébreu, une stratégie agressive vis-à-vis de la presse, poursuivie avec constance depuis le début de la guerre impitoyable contre l’étroite bande de terre, déclenchée à la suite des massacres de civils israéliens par le Hamas, le 7 octobre 2023.
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A ce jour, plus de cent journalistes palestiniens ont été tués dans des bombardements, y compris lorsqu’ils portaient des casques et des gilets pare-balles identifiant clairement leur profession. Ce bilan sanglant, inédit par son ampleur, fait qu’ils sont désormais associés dans l’esprit des habitants de Gaza à l’idée d’une mort imminente, et qu’il vaut mieux les tenir à distance.
Comme le montre l’enquête publiée par Le Monde, l’armée de l’Etat hébreu semble s’en prendre systématiquement aux représentants des médias. La destruction de la Maison de la presse, à Gaza, soutenue financièrement par la Norvège et la Suisse, et l’assassinat de son fondateur, Bilal Jadallah, tué par un tir de char alors qu’il empruntait une voie d’évacuation déclarée sûre par l’armée israélienne, constituent le double symbole de cette dérive qui n’épargne rien ni personne. En attestent les bombardements visant également des agences de presse internationales, dont l’AFP et Reuters.
Déchéance morale
Gaza n’avait jamais ainsi été interdite, des mois durant, aux journalistes internationaux. Ce blocus de l’information imposé par Israël doit cesser au plus vite. Il a été accepté sans que les démocraties qui sont ses alliées n’y trouvent à redire, alors que les mêmes sont intarissables, à juste titre, à propos des atteintes au devoir d’information observées au sein de régimes autoritaires. Un « deux poids, deux mesures » qui précipite la déchéance morale de ce camp majoritairement occidental.
L’armée israélienne avait déjà bombardé des bureaux de la presse internationale en 2021, lors de la précédente guerre de Gaza. Un an plus tard, la reporter de la chaîne qatarie Al-Jazira Shireen Abu Akleh était tuée par le tir d’un soldat israélien initialement nié par l’armée, alors qu’elle couvrait une opération militaire à Jénine, en Cisjordanie, revêtue de l’équipement indiquant sa qualité de journaliste. Ces avertissements auraient dû alarmer ceux qui continuent de regarder Israël comme ce qu’il fut et non comme ce qu’il devient sous la pression de l’extrême droite.
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Car la stratégie israélienne de réduire au silence la presse se double d’un déni à l’échelle d’un pays tout entier. L’interdiction de la chaîne Al-Jazira par les autorités en a apporté la preuve la plus manifeste et la plus désolante à l’heure de l’information sans frontières. L’autocensure de la presse israélienne, qui, à de très rares exceptions comme le quotidien Haaretz, refuse d’informer à propos du carnage en cours à Gaza, est une autre rupture avec un passé où l’Etat hébreu regardait la guerre et ses horreurs les yeux grands ouverts.